Le Ciel a gardé ses droits

Nasséré - Orage ©FDLH

Nasséré – Orage ©FDLH

Qu’il pleuve ou qu’il vente, on mangera toujours la même chose en France. Avec l’hiver arrive la soupe, l’été préfère les fraises et les salades. Excepté le faible pouvoir des saisons donc, notre assiette est devenue indépendante. Elle se fiche du climat, du soleil, du ciel. La pluie, c’est le linge à rentrer, la prudence sur les routes, l’envie de rester chez soi. On ne l’aime pas beaucoup ; elle nous plaît quand, bien au chaud dans son lit, on l’entend tomber vainement sur le toit.
Une autre culture c’est une nouvelle vision du monde. Nouvelle vision des gens, de la société, de la vie, du climat. Nous ne verrons jamais la pluie comme la voient les Burkinabès. A Nasséré, village où nous avons passé trois semaines, le ciel a gardé ses droits.

 

Nous sommes arrivés comme des fleurs le « jour de la première pluie ». Elle a compliqué nos courses au marché et notre trajet jusqu’au village. A ce moment encore elle nous a fait râler, forcément. Mais depuis quelques semaines déjà, le ciel se faisait prier. La saison des pluies, d’année en année, commence de plus en plus tard, jouant avec les nerfs des paysans. Il faut vivre un peu là-bas pour comprendre l’importance de cette première averse.

C’est le coup de feu qui donne le départ vers les champs. Dans les starting blocks, les villageois vont enfin atteler la charrue, remplir de graines les calebasses et se mettre au boulot. Ceux qui ne vivent que de leurs champs étaient « au chômage » jusqu’à aujourd’hui. La terre ocre les narguait, son aridité décourageait les vaches les plus hardies. Mais la pluie vient compléter l’équation. On dirait presqu’elle sait que sans elle, l’Homme ne vivrait pas ici ; que chaque année c’est elle qui lui permet de rester.

Nasséré - Labours ©FDLH

Nasséré – Labours ©FDLH

Jusqu’aux dernières pluies d’octobre labour, sarclage, semailles et récolte rythment la vie des paysans. Le ciel leur donne un emploi. Les paysans ne travaillent pas sous le déluge, il leur donne donc de petits congés lors des tempêtes. Congés payés puisqu’à travers la pluie il achève leur travail. Une fois semées, les graines de mil, maïs, arachides ou haricots ont besoin d’eau. C’est donc encore le ciel qui donne un sens aux efforts des cultivateurs. Ils ont beau retourner la terre, semer, transpirer ; ils savent que leur sueur sera vaine si, de juillet à octobre, la pluie ne les aide pas régulièrement. Dabba[1] à la main ils remplissent leur part du contrat. Les yeux vers l’azur, ils doivent faire confiance à un collaborateur imprévisible et tout-puissant : le Ciel.

 

Nasséré - Plant d'arachide ©FDLH

Nasséré – Plant d’arachide ©FDLH

C’est lui qui décide du devenir de chaque champ, de chaque plante, de chaque pousse. Il dessine de nouveaux paysages. Au bord des pistes, devant les maisons, dans la brousse, les champs apparaissent. Le rouge laisse place au vert, qui s’impose un peu plus à chaque averse. Habitués à ce spectacle annuel, les villageois cultivent pour que les récoltes d’octobre soient bonnes. Ils vivront sur ces récoltes pendant un an. Et bien sûr c’est encore le ciel qui est maître. Une saison moins pluvieuse et les stocks de mil peuvent ne pas suffire.

Le ciel leur donne à manger.
Trop de pluie en peu de temps et les maisons en terre sont, elles aussi, à la merci du climat. Leurs fondations, lorsqu’elles ne sèchent pas pendant plusieurs jours, s’écroulent. Enième caprice céleste pendant que les rues de Ouagadougou se transforment en petites rivières.

Dans notre civilisation l’Homme a gagné du terrain sur le ciel ; nos villes, nos maisons, nos champs, notre alimentation s’en sont presque totalement affranchi. L’Homme, pour décider de sa vie, a pris à la nature des droits qu’elle a gardés dans un pays comme le Burkina. Cela nous permet de vivre aujourd’hui comme nous vivons. Et pourtant parfois je préfèrerais être à la merci du ciel pour en être plus proche.

[1] L’outil principal du paysan: tête en fer, manche en bois plus ou moins long.

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